Je défie qu’on me dise que ce que ça veut dire, l’inconscient collectif. Quant à moi, je n’en sais absolument rien, si ce n’est à le définir comme le discours sans signification, le flatus vocis, le bruit et la fureur des paroles humaines, le discours insensé pour autant qu’il relie dans sa vibration générale ceux qui en sont les supports. Dans l’ensemble, la collectivité ne sait pas ce qu’elle dit, et, à la vérité, on s’en passe fort bien.
Jacques Lacan
On pourrait en dire autant d’une certaine presse. Mais on dit toujours « certaine » pour n’en viser aucune et ne vexer personne. La presse fait un travail indispensable d’information qui permet d’avertir et de protéger le plus grand nombre. En quoi elle est infiniment respectable et doit être saluée. Mais elle se veut aussi l’écho d’un certain discours du plus grand nombre et de l’inconscient collectif ci-dessus brocardé. Elle se fait caisse de résonance du pire plus souvent que du meilleur et nous sommes en train de nous voir façonner, pétrir une fois de plus par le discours des rares qui ont encore le droit à la parole publiquement. Ce n’est pas parce qu’elle nous informe du quotidien douloureux de notre situation qu’il faut lui reconnaître le droit d’aller au-devant de nos angoisses et de nos douleurs avec la prétention de leur donner voix. La nôtre suffit et nous avons droit au silence, surtout en face de la douleur. Nous en avons besoin. Nous avons besoin de pudeur autant que d’info. Nous enfoncer dans la l’angoisse du présent et la terreur du futur est une forme assez pernicieuse, me semble-t-il, de prise de pouvoir sur notre capacité de penser tout seuls. Nous avons presque tous peur pour quelqu’un, nous avons presque tous quelque chose à perdre. Mais s’il y a un chose que ces temps de crise nous donnent l’occasion de reconquérir, c’est la capacité de penser ! C’est à dire penser par soi-même sans le secours de ce que Lacan (toujours lui) appelait le « disque-court-courant ». Nous avons le devoir de garder la tête haute et de maintenir l’espoir parce que nous en sortirons. Penser nous est pour cela indispensable. La plupart des journalistes nous y aident parce qu’ils fonctionnent selon une éthique véritable. Pas tous.