À l’ancre

On n’a pas eu beaucoup de temps. Des vagues nous suivaient. On leur disait va-t’en, va-t’en, le doigt tendu, tapant du pied (ce n’est pas la bonne méthode). D’habitude, notez, couchées en rond, çà et là, allongées en travers du chemin, rien vu, rien demandé. Elles nous devançaient, faisaient des niches, nous mordillaient les talons. Toutes dressées, elles attendaient notre passage en faisant le beau. Pas moyen de s’en débarrasser. On n’a pas continué de ce côté.

On n’a pas eu beaucoup de temps. Avoir vu tout, avoir tout fait, retenu les leçons, les sermons, les recettes. Les mots brodés sur rien. Répétés sans se tromper. Les noms des gens. Et puis les vagues toujours, les vagues. Préoccupées et besogneuses. À nettoyer derrière nos pas, derrière nos voix. Menu travail, mais appliquées ! il fallait voir. Tout torché. Plus un os. 

On n’a pas eu beaucoup de temps. C’était demain le jour, le départ, l’abandon de nos restes petits. (Sans doute, ils continueraient à pleurer dans le noir, derrière la porte, sans doute, mais que faire ?) Nous gîtions sur l’ancre d’aujourd’hui. Et la chaine était sûre. L’aiguille du présent cousait tout vertical notre moi imbécile à l’horizon des vagues. Nos jours au point de croix.

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